Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Macron est donc qualifié pour le second tour aux côtés de Le Pen…. et les marchés sont euphoriques. Le duo est bien celui anticipé par les bookmakers britanniques et aucun doute n’était plus permis dès les émissions spéciales lancées sur les antennes télé hier soir.
La Fabrique du Contentement
Dès l’ouverture des émissions sur TF1 (PA:TFFP) et France 2, nous pouvions voir des journalistes tout sourire devant des militants dont le langage du corps exprimait bien être et décontraction… contrairement aux visages crispés et corps tendus des supporters de François Fillon à son QG qui faisaient penser à celle de voyageurs constatant que leur train est annulé. En ce qui concerne les militants d’En Marche, l’atmosphère était déjà au beau fixe Porte de Versailles dès dimanche matin, persuadés qu’aucune mauvaise surprise ne serait à redouter à 20H. Ce qui fut doublement le cas puisque leur champion arrivait non seulement en tête, mais avec une avance significative sur Marine Le Pen qui se revendiquait comme chef de file de la première formation politique de France. Emmanuel Macron a déjà reçu les félicitations de Sigmar Gabriel, de Wolfgang Schaüble (ce qui équivaut à celles d’Angela Merkel… mais elle ne commettra évidemment pas l’erreur politique de prendre parti avant le second tour) puis celles de J.C. Juncker et enfin celles des Démocrates du Congrès américain. Ouf ! Nous avons la preuve que l’issue des présidentielles est d’ores et déjà considérée comme conforme aux voeux des forces dominantes de Berlin, Bruxelles et Washington.
Les marchés exultent et félicitent Macron à leur manière
En ce qui concerne les forces dominant à la City et à Wall Street, le soulagement provient non pas de la qualification de Macron pour le second tour mais de son positionnement comme leader du premier tour. Ce soulagement s’est matérialisé à minuit et 1 minute par une envolée de +3% du CAC40 sur les futures (jusqu’à 5 238 Pts), et par un nouveau record historique absolu sur les futures de CAC40 Global Return à 12 900 Pts contre 12 725 le 12 avril. L’ouverture, ce matin, fut encore plus spectaculaire puisque le CAC40 ouvrait directement sur les 5279 points, en gap haussier de +4,3%.
Sur le front des changes, quelques naïfs qui s’étaient fait berner par le pseudo risque d’un vote extrême et anti-européen rachetaient leurs positions short sur l’euro, faisant replonger le dollar à 1,0918, son plancher intraday du 27 mars dernier.
Rien de décisif sur le plan technique, ni sur l’Euro-Dollar, ni sur le CAC40 (qui teste la borne supérieure du corridor sommital légèrement ascendant en formation depuis le 31 mars), mais un shoot d’euphorie pour les marchés qui les fait planer très haut ! Mais pour en revenir à l’échiquier politique, bien malin celui qui peut affirmer que le probable futur Président disposera d’une majorité à l’assemblée.
Exit la vieille caste politique ?
François Fillon, qui affirme assumer sa défaite, restera pour l’histoire l’homme qui aura mené la droite à perdre une élection réputée imperdable. Vu de l’étranger (et notamment des pays nordiques) la poursuite de la campagne d’un candidat mis en examen pour des motifs d’enrichissement personnel est considérée au mieux comme une « hallucination » (ça ne peut arriver qu’en France, voire en Italie, patrie de Berlusconi), au pire comme un comportement « extrêmement immoral et choquant » (vu du Danemark, de la Suède, de la Finlande). Un belge qui effectuait le même circuit touristique que moi durant les quelques jours de vacances pris mi-avril me demandait « pourquoi un tel entêtement de sa part » – je ne sus quoi lui répondre et bottait en touche : « il n’y avait sans doute aucun politicien suffisamment honnête pour prendre le relais de François Fillon et porter son projet politique, à défaut de porter un costume à 13 000 € ».
En ce qui concerne Benoît Hamon, avec à peine 6% des suffrages, peut-il prétendre représenter le parti socialiste alors qu’il pèse moins lourd que les communistes – laminés durant 14 ans par François Mitterrand, au soir de son second septennat ? En d’autres termes, le jeu de massacre politique s’est poursuivi. Après l’élimination de François Hollande, de Nicolas Sarkozy, de Manuel Valls, d’Alain Juppé… c’est au tour de François Fillon et de Benoît Hamon d’être démonétisés, décrédibilisés. C’est une page de 20 ans de politique qui se tourne avec la mise au rebut des têtes d’affiche des 4 précédentes présidences.
… Et la Fabrique du consentement
Comment tous ces personnages peuvent-ils espérer rebondir durant les législatives et mobiliser leurs troupes pour défendre les couleurs de leur formation politique ? Une parfaite illustration de la métaphore des « pétochards volant au secours de la victoire ». Mais ce qui me surprend le plus, c’est l’absence de questionnement sur la capacité d’Emmanuel Macron à rassembler une majorité, sans appareil politique et sans véritable programme. Certes, le spectre de ses soutiens est large… Mais c’est un inventaire à la Prévert, puisqu’il va de Robert Hue à Xavier Niel ou Rothschild… de Daniel Cohn Bendit à Jacques Attali (convié au dîner à la Rotonde), en passant par Alain Minc ou Jean Pierre Jouyet (probablement le personnage clé de l’accession de Macron à la magistrature suprême). Un tel consensus nous laisse pantois. Car rappelez-vous la phrase préférée et fondatrice des Publications Agora : « quand tout le monde pense la même chose, c’est que plus personne ne pense »… Et que se passera-t-il quand les électeurs sortiront de l’émotion pour passer à la réflexion ?