Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Les observateurs attentifs des marchés actions l’avaient peut-être déjà constaté : ces jours-ci, les valeurs dites « value » ont pris l’ascendant sur leurs homologues dites « de croissance ».
Littéralement massacrées pendant le krach du mois de mars, tandis que le Covid-19 se répandait à vitesse grand V en Europe et obligeait les décideurs du Vieux Continent à instaurer des confinements dévastateurs pour des pans entiers de l’économie, les Accor (PA:ACCP), BNP et autres Renault (PA:RENA) sont désormais à la relance.
Les parias d’hier sont, pour un temps, les stars du moment, avec des performances étincelantes qui, pour un peu, donneraient presque le sentiment que le déconfinement se traduisait par une reprise économique vigoureuse. Sauf qu’il n’en est rien et que, comme je l’ai encore dit dans ma vidéo d’hier, il faudra patienter encore plusieurs mois pour que les indices PMI aux Etats-Unis et en Europe repassent au-dessus du seuil des 50 points qui sépare contraction et expansion de l’activité. A ce stade, les économistes visent le mois de novembre pour l’Oncle Sam et décembre, au plus tôt, pour le Vieux Continent.
Loin de la reprise en « V » à laquelle les gérants continuent de s’accrocher, on se dirige donc davantage vers une courbe en « U »…
Les prévisions de bénéfices ne sont quant à elles pas réjouissantes, les analystes tablant sur des reculs de respectivement 19 et 27% aux Etats-Unis et en Europe cette année, avant une reprise franche en 2021.
Dans ces conditions, par-delà les divergences de vue entre gérants actions et économistes, l’enthousiasme boursier observé depuis le début de la semaine paraît pour le moins curieux… D’autant que l’économie ne tourne qu’à 80% de ses capacités actuellement et que le plan de relance européen de 750 Mds€, pour alléchant qu’il soit sur le papier, n’a pas encore été négocié. Or, les discussions seront âpres entres les Etats du nord et ceux du sud, les seconds étant sensiblement plus endettés et dépensiers que les premiers.
Les craintes (légitimes) de la BCE
Le plan susmentionné implique par ailleurs 500 Mds€ de transferts et 250 Mds€ de prêts, des montants astronomiques qui viendront s’ajouter à 540 Mds€ de prêts déjà avalisés et à 1 000 Mds€ d’injections émanant de la BCE. Cette dernière, qui n’avait d’autre choix que d’intervenir, redoute à présent une crise financière XXL, avec une explosion de la dette des entreprises et une cascade de faillites. Au niveau macroéconomique, l’institution craint en outre une explosion de la dette des Etats, avec par exemple 25% de la dette italienne à refinancer dans les deux ans et 20% de la dette française.
Pour finir, le ratio des capitaux propres des banques européennes, qui oscille actuellement autour de 15% en moyenne, pourrait baisser de 400 points de base. Le risque systémique est donc bien réel et les menaces de recapitalisations commencent à affluer au sein de planète bancaire.
Sachons certes apprécier les bonnes nouvelles, mais aussi, sans pour autant être contrarien, avoir une vue d’ensemble. Le tableau n’est pas forcément tout noir, mais c’est un fait : nous entrons dans une ère sans doute aussi douloureuse que celle que nous venons de vivre avec ce confinement.
N’en déplaise aux investisseurs, qui persistent à voir le verre à moitié plein et à ne pas mettre les choses en perspective. Plus dure pourrait être la chute…