Biden franchit un cap mais des écueils se profilent

Reuters

Publié le 28/04/2021 11:58

par Patrick Vignal

PARIS (Reuters) - Joe Biden n'a pas traîné pendant les 100 premiers jours de son mandat avec des mesures énergiques pour la plupart bien accueillies par les marchés mais la suite s'annonce plus compliquée, en raison notamment de craintes du prix à payer pour des dépenses massives, font valoir gérants et analystes.

Forte de la majorité au Sénat arrachée par les démocrates en Géorgie, l'administration Biden a fait valider par le Congrès un plan de relance budgétaire de 1.900 milliards de dollars (1.570 milliards d'euros) qui a soutenu les espoirs d'une reprise économique vigoureuse, contribuant à faire grimper les actions avec une série de records pour les indices de Wall Street.

Le nouveau président a également dévoilé un projet d'investissement dans les infrastructures de 2.300 milliards de dollars qui sera examiné par le Congrès, sans oublier d'accélérer le rythme de la campagne de vaccination contre le coronavirus, de hausser le ton contre la Chine et de se fixer d'ambitieux objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Tout cela avant le cap des 100 jours, qu'il franchira jeudi.

"Ce qui a le plus frappé, c'est la vitesse à laquelle les choses se mettent en place, ce qui a été permis notamment par la victoire des démocrates en Géorgie", dit à Reuters Gilles Moëc, chef économiste d'AXA (PA:AXAF) IM, qui voit dans toutes ces mesures un retour à une politique naguère caractéristique du camp démocrate.

"Beaucoup des décisions politiques de Biden sont du détricotage de ce qu'avait mis en place Bill Clinton dans les années 1990 et qui avait conduit les démocrates vers ce qu'on a appelé le consensus de Washington, c'est-à-dire une politique de libre-échange, accommodante vis-à-vis de la Chine, une grande discipline budgétaire et une dérégulation des marchés financiers", dit-il.

"Biden efface tout cela pour revenir à des fondamentaux démocrates que l'on n'a pas vus depuis les années 1970, avec un Etat interventionniste qui accepte l'idée de faire augmenter les déficits publics, qui veut réintervenir sur le marché du travail et qui tient un discours ferme vis-à-vis de la Chine."

LES TAUX LONGS ET L'INFLATION SOUS SURVEILLANCE

Certains vont plus loin en arrière pour évoquer le New Deal lancé dans les années 1930 par le président Franklin Delano Roosevelt afin de guérir l'Amérique des blessures infligées par la Grande Dépression, en mettant l'accent sur la protection des plus démunis.

"Joe Biden s'inscrit dans cette mythologie-là avec une volonté revendiquée de s'inspirer de cette symbolique passée des Etats-Unis", dit à Reuters Florent Delorme, stratégiste pour la société de gestion M&G.

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Bienveillants jusqu'à présent face à cette activité frénétique, les opérateurs de marché s'inquiètent désormais du coût de tout l'argent mis sur la table et redoutent notamment une hausse de la fiscalité pesant sur les société ainsi que de la taxation sur les plus-values financières.

Ces craintes expliquent pourquoi le Dow Jones et le S&P 500 viennent de vivre leur premier repli hebdomadaire depuis cinq semaines (quatre semaines pour le Nasdaq), même si aucun vent de panique ne se fait pour l'instant sentir.

Les investisseurs gardent également un oeil sur le rendement des emprunts d'Etat américains à 10 ans, qui s'est apaisé avoir grimpé dans le sillage de la remontée des anticipations d'inflation et pourrait, selon plusieurs observateurs, repartir à la hausse.

Dans ce contexte, les investisseurs s'interrogent sur le moment où la Réserve fédérale, qui tient jusqu'à présent un discours rassurant, devra commencer à baliser le retrait progressif de son soutien monétaire ("tapering") pour accompagner le rebond de l'économie.

L'AMÉRIQUE RESTE PROFONDÉMENT DIVISÉE

"Au regard des montants en jeu, les investisseurs craignent une surchauffe de l'économie conduisant à une hausse de l'inflation, obligeant la Fed à réviser sa politique accommodante", résume Christophe Foliot, co-directeur de la gestion actions chez Edmond de Rothschild Asset Management.

Le contraste est saisissant entre la violence de la crise entraînée l'an dernier par l'épidémie de virus et la vigueur de la reprise qui se profile, prolonge Gilles Moëc, qui prévoit une phase d'accélération de l'inflation et de remontée des taux longs.

Un tel phénomène ne serait que temporaire, en raison du maintien de pressions déflationnistes fortes, liées notamment à la mondialisation de l'économie et aux évolutions technologiques, juge pour sa part Florent Delorme.

"Nous ne croyons pas à un retour durable de l'inflation donc nous ne croyons pas que les taux longs puissent s'inscrire durablement à des niveaux élevés et nous ne pensons pas que les banques centrales devront agir rapidement pour maîtriser l'inflation", dit-il.

Nettement moins clivant que son prédécesseur Donald Trump, le nouveau président, dont la cote de popularité ne s'est pas érodée après 100 jours de mandat, doit se livrer à un exercice d'équilibriste en donnant des gages à l'aile gauche de son parti sans effrayer pour autant la fraction la plus modérée de son électorat, prolonge l'économiste de M&G.